maintenant je suis un lac (2017-2024)

Quand j'étais enfant, Vréjouie, ma grand-mère, et Hripsimé, ma grande tante, s’exprimaient parfois dans une langue que je ne comprenais pas. Après leur mort, lorsque je fus en âge d'entendre, l’étrangeté familière de leurs voix se mue en récits.

Ma mère racontait de drôles d'histoires. Il y était question de peur, de souffrance, de cruauté et de mort, mais aussi de bravoure, de douceur et de miracles. L’anecdotique y rencontrait la grande Histoire et sa cohorte de signifiants : génocide, guerre, exil, communisme et rideau de fer.

Ces récits oraux, que ma mère répétait et enrichissait de nouveaux détails au fil des années, ont laissé en moi des impressions indélébiles, comme ces contes pour enfants qui réussissent à expliquer l’inexplicable et à faire accepter l’inacceptable.

Plus tard, ces récits se rappelèrent à moi. Le temps était venu de faire mon travail de mémoire. Je me rendis plusieurs fois en Arménie et en Turquie, dans les villes de mes ancêtres, d'abord avec ma mère, puis seul. J'avais besoin de lier mon histoire à celle des personnages qui peuplent l’album de notre famille, de constater leur absence à travers la photographie et le silence qu'elle impose. Peut-être était-ce une façon de faire taire ces voix étranges et familières, ou bien de leur donner un sens en les remplaçant par d’autres, incarnées, traduisibles et contemporaines d’une époque qui produit ses propres récits, tout aussi ambivalents que ceux qui ont forgé mon imaginaire.

Ce travail a bénéficié du soutien de la région des Hauts-de-France. Une partie a été exposée sous le titre Almanach 1915 au Château Coquelle à Dunkerque en 2021.

Maintenant, je suis un lac
Une femme se penche au dessus de moi
Sondant mon étendu pour y trouver ce qu’elle est vraiment

Extrait de Miroir, Sylvia Plath

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